Quand mes amis viennent me rendre visite à Lecce, ils sont stupéfaits par la richesse de la ville. Ils me demandent : « D’où venait cette richesse ? Quelle est l’histoire de cette ville magnifique ?» J’éprouve beaucoup de plaisir – et d’émotion – à vous expliquer pourquoi et comment je suis venu vivre ici il y a près de 10 ans, et comment je suis tombé amoureux de cette ville si particulière.
Ce qui m’anime à Lecce, c’est cette pierre unique. La lumière qui s’y pose est complètement différente selon le moment de la journée. Le matin, le soir, la nuit… elle donne une émotion singulière à chaque instant. Je me suis souvent arrêté, seul en pleine nuit, captivé par l’ambiance silencieuse de cette ville que j’aime profondément.
Le Salento, ce royaume oublié des Pouilles
Pour comprendre Lecce, il faut d’abord comprendre sa terre : le Salento. Beaucoup confondent les différentes zones des Pouilles, mais cette région est un véritable patchwork de territoires bien distincts : la Vallée d’Itria avec ses trulli, le Gargano avec ses forêts, la Murgia avec ses plateaux calcaires… et enfin, le Salento, qui forme le véritable « talon de la botte » italienne.
Ici, la rivalité entre Bari et Lecce est toujours très présente. Lecce est une ville élégante, avec un passé aristocratique et une richesse historique impressionnante. C’est la capitale incontestée du Salento.
La naissance d’une cité antique romaine
L’histoire de Lecce ne commence pas au Moyen Âge. Bien avant de devenir le joyau baroque que nous connaissons aujourd’hui, Lecce était une cité romaine prospère : Lupiae.
Lors des travaux de construction de la Banque d’Italie, Piazza Sant’Oronzo (la place principale du centre historique de Lecce, qui fait également la jonction avec le centre moderne), on a découvert un amphithéâtre romain.
Sur cette place, on observe un mélange architectural fascinant : l’office du tourisme a pris place dans l’ancien comptoir vénitien, des bâtiments aux styles mussoliniens côtoient la banque d’Italie construite à l’image de celles de Florence ou Sienne. Ce patchwork architectural raconte à lui seul l’histoire mouvementée de la ville.
L’âge d’or : les sources de la richesse leccese
Mais pourquoi trouve-t-on un comptoir vénitien à Lecce ? Parce que la richesse de Lecce – et du Salento – venait de l’or jaune: l’huile d’olive. Elle était extrêmement prisée en Europe. Selon la légende, l’huile de Lecce ne dégageait pas de fumée, ce qui permettait d’éclairer les maisons sans produire de suie noire.
Puis vint le tabac. Dans toute la région, vous pouvez encore apercevoir des clous dans les murs des masserias, ces anciennes fermes, utilisés pour faire sécher les feuilles. De nombreuses femmes travaillaient dans les manufactures. J’ai eu l’occasion de visiter l’ancienne manufacture de Lecce, lors d’une journée portes ouvertes. Son plan architectural forme un « M » pour Mussolini –comme on peut le voir sur cette vue aérienne. Elle s’appelait Tabacchi Greggi, faisait 45 000 m², et était l’une des plus grandes manufactures de tabac d’Europe. La visite de l’endroit était impressionnante. Le bâtiment a été racheté par un privé : quel sera son futur ?
L’explosion baroque : quand la pierre de Lecce devient dentelle
Un tournant historique fut la bataille de Lépante en 1571, qui marqua la fin des grandes menaces ottomanes en Méditerranée. Mais dès avant cette date, Charles Quint avait voulu faire de Lecce un bastion défensif. Il fit construire un château (qu’on peut encore visiter aujourd’hui), ainsi que Porta Napoli, avec l’arche arborant son blason impérial.
Dans cette dynamique, de nombreux ordres religieux furent invités à construire des églises. Et c’est là qu’intervient la fameuse pierre de Lecce, douce, friable, facile à sculpter. Elle a permis de développer un baroque exubérant et raffiné, unique en Italie du Sud, aux teintes dorées et lumineuses. C’est cette pierre qui donne à Lecce l’aspect d’une dentelle sculptée dans le miel.
L’art du papier mâché : l’ingéniosité leccese
À côté de la pierre de Lecce, un autre art typiquement leccese a émergé : le papier mâché (cartapesta). Faute de marbre ou de bois précieux, les artisans ont développé cette technique ingénieuse venue de Naples et toujours pratiquée aujourd’hui à Lecce.
Vous pouvez admirer un plafond entier en papier mâché dans l’église Santa Chiara, et l’une des plus grandes statues au monde réalisées avec cette technique dans l’église San Matteo. C’est une tradition à part entière, entre artisanat, théâtre sacré et recyclage avant l’heure.
Les bouleversements de l’époque napoléonienne à Lecce
Un autre personnage-clé : Joachim Murat, beau-frère de Napoléon et roi de Naples. À cette époque, Lecce était appauvrie. Murat modernisa la ville en réaffectant les édifices religieux à des fonctions civiles : hôpitaux, préfectures, écoles…
Aujourd’hui encore, si vous vous promenez dans le centre historique, vous verrez que beaucoup de bâtiments publics étaient autrefois des couvents ou monastères. Par exemple, à côté de chez moi, l’ancien couvent des Célestins est devenu la préfecture de Lecce.
La vie aristocratique à Lecce : un modèle raffiné
Les palais de Lecce sont tous bâtis selon une même logique : après le portail, on entre dans un cortile (cour intérieure), qui mène souvent à un giardino segreto, un jardin secret réservé à la famille.
Cette organisation reflète encore aujourd’hui un certain mode de vie : ici, on ne reçoit pas facilement chez soi. On se voit à l’extérieur, autour d’un café, mais l’espace privé reste intime. La maison, c’est le sanctuaire familial, protégé des regards extérieurs.
Le long oubli… puis la renaissance de Lecce
Après l’unification italienne, Lecce – comme tout le Salento – a connu une longue période de marginalisation. Jadis prospère, cette région du sud fut vite considérée comme périphérique, arriérée, et peu industrialisée par le nouveau royaume.
Les privilèges du Royaume de Naples furent abolis, l’agriculture en crise, et l’émigration massive vers le nord de l’Italie, l’Europe ou les Amériques vida les campagnes.
Jusqu’aux années 1990, Lecce est restée en dehors des circuits touristiques. C’est alors que quelques voyageurs curieux ont redécouvert le Salento. Le renouveau culturel, notamment à travers la pizzica – danse hypnotique issue du tarentisme, un ancien rituel de guérison – a contribué à faire rayonner la région bien au-delà de ses frontières.
Aujourd’hui, Lecce connaît une renaissance spectaculaire. Le tourisme a revitalisé son centre historique et permis la restauration de nombreux monuments historiques.
Découvrir Lecce aujourd’hui : que visiter absolument ?
Si vous prévoyez de visiter Lecce, ne manquez pas ces sites incontournables :
- La Basilique Santa Croce
- La Piazza del Duomo
- L’Amphithéâtre et le théâtre romain
- Le Château de Charles Quint
- L’église Santa Chiara (plafond entièrement réalisé en papier mâché)
- L’église San Matteo (une des plus hautes statues religieuses réalisées en papier mâché au monde)
- L’ancien hôpital près de Porta Rudiae
- L’église San Cataldo e Nicola du cimetière
Lecce demain ? Entre préservation et tourisme
Moi qui habite ici depuis presque 10 ans, je me pose souvent la question : que deviendra Lecce dans 10, 15, 20 ans ? Deviendra-t-elle une ville-musée, vidée de ses habitants, dédiée uniquement aux touristes ? J’avoue que cela m’inquiète un peu.
Mais malgré ces incertitudes, je continue à m’émerveiller chaque jour devant la beauté de cette ville, sa lumière changeante, et son atmosphère unique. C’est cette magie qui m’a conquis il y a près d’une décennie… et qui continue de me captiver aujourd’hui.
Avez-vous déjà visité Lecce ? Quel aspect de cette ville baroque vous a le plus marqué ? N’hésitez pas à partager votre expérience dans les commentaires !
